Edouard André en costume de voyage |
Que reste-t-il dans la mémoire collective luxembourgeoise du souvenir d’Edouard André à la fin du 20e siècle ? A l’exception d’une petite place au Limpertsberg, baptisée « Square Edouard André, architecte-paysagiste français », peu de cas n’a été fait de son rôle capital dans la transformation de la ville de Luxembourg jusqu’à date très récente.
Pourtant, l’oeuvre d’André a été à l’origine d’un mouvement urbanistique et paysager à Luxembourg, que deux de ses disciples, Edouard Luja (1875-1953) et Henri Luja (1899-1977), fils d’Antoine Luja (l’architecte de la ville de Luxembourg qui fut un des collaborateurs d’Edouard André pour la réalisation du parc), ont propagé jusqu’au milieu de ce siècle. Après des études en horticulture en Belgique, en France et en Allemagne Edouard Luja se lançait dans des expéditions de naturaliste au Congo, au Mozambique et au Brésil, au cours desquelles il identifia quelques 80 plantes et 130 animaux inconnus jusque-là. Henri Luja fit ses études supérieures à Paris (Lycée Michelet) et les compléta par des études aux jardins botaniques de Munich et de Berlin. Avant de devenir l’architecte en chef du « Service d’Urbanisme de l’Etat » à Luxembourg, il avait accompli quelques années d’apprentissage comme collaborateur à l’agence d’architecture et d’urbanisme de René-Edouard André à Paris.
Le style nouveau qu’Edouard André avait importé à Luxembourg était celui du parc paysager et celui du parc municipal, formule qui a servi de prototype à la création d’autres parcs municipaux nouveaux au début de ce siècle (ex. Echternach, Differdange, Esch-sur-Alzette). En revanche, don idée de créer un parc botanique et un jardin d’arboriculture fruitière ( sur les versants de la vallée de la Pétrusse) n’a pas pris racine jusqu’à ce jour.
Depuis 1993 le nom d’Edouard André figure régulièrement dans la presse luxembourgeoise. L’ombre bienheureuse du paysagiste français veillerait, dit-on, à la restauration « d’après les plans originaux » du parc municipal de Luxembourg, entreprise depuis lors ( à la veille des élections municipales de 1993). Il va de soi que le parc en tant que tel n’est pas protégé comme monument historique (sauf les vestiges souterrains de l’ancienne forteresse). Cependant, en 1994 la Ville de Luxembourg avait sollicité de l’aide financière dans le cadre d’un projet européen pour la restauration de parcs historiques dans chacun des pays de la communauté européenne. Le dossier du parc de Luxembourg ne fut pas retenu, à cause du caractère inapproprié des travaux envisagés.
Le parc, quelque peu négligé depuis la première guerre mondiale, s’est développé sans plan de gestion précis. Le renouvellement périodique des plantations, la taille des massifs d’arbustes et les coupes d’éclaircie n’avaient plus été entrepris depuis le début du siècle, de sorte que le parc avait perdu la netteté de ses contours et l’équilibre des strates de végétation. Les propositions de regénération du parc (auteur de l’étude : Winfried zur Hausen) ignorent néanmoins les principes esthétiques des créations d’Edouard André.
Que dire des travaux de « restauration » du parc E.J.Klein (1997/8) ? L’étang, enfin réalisé, est agrémenté par trois jets-d’eau absurdes (c’est l’oxygène !) et par une cascade qui sort de blocs grossièrement entassés du milieu d’une petite île ! Le pavillon enfin, et le pont en bois, semblent sortir tout droit d’un catalogue spécialisé dans "l’espace vert"!
Qu’en est-il des petites plantes aquatiques et saxatiles indigènes qu’Edouard André prévoyait à cet endroit ? A présent, c’est de l’exotique, et le bambou est à l’honneur. D’ailleurs, les petites buttes artificielles et les marches en pierre, savamment disposées jadis, ont été enlevées à la pelle mécanique.
Le parc autour du monument d’Amélie est en cours de « restauration »(1999).
Les rajouts encombrants des années 70 ont été heureusement enlevés.
Bientôt cependant une grande fontaine centrale viendra encombrer l’axe historique entre le monument d’Amélie et la vieille ville. Tout ceci se passe de commentaire, même si les commentaires sont nombreux. En effet, le parc se trouve au coeur d’une polémique politique.
Les autorités municipales, soucieuses de créer de nouvelles aires de stationnement pour voitures, avaient initialement envisagé de sacrifier une partie du parc E.J. Klein (notamment l’ancien parterre du jardin botanique) pour faire un parking souterrain. Suite à des violents débats qui mettaient en cause, non la valeur historique du parc, mais la valeur archéologique des anciens forts, la Ville décida en 1993 de le créer en dessous de l’avenue Monterey. Les dégâts causés au parc étant ainsi limités, les travaux de construction pouvaient alors débuter, non sans les protestations des « Amis de la Forteresse ». Le bourgmestre actuel a d’ailleurs fait entendre qu’on pourrait envisager le déblayement et la « mise en valeur » des vestiges archéologiques au parc, ce qui ne va pas sans détruire une partie du parc. Aucune protestation ne s’est fait entendre , lorsque le parc d’Edouard André fut détruit au Fort Thungen pour faire place au sentier touristique de Vauban.
D’autre part, le problème d’insécurité du parc municipal, devenu le repaire d’une curieuse faune diurne et nocturne, semble soulever la question de la salubrité publique du lieu. Une question d’un député au ministre de la Force Publique (30 janvier 1998), à la Chambre des Députés, est particulièrement révélatrice de la façon d’exploiter politiquement ce sujet à la mode :
« Est-il exact que le Parc municipal de la Ville de Luxembourg, à cause de l’insécurité apparente qui semble y régner, ressemble de plus en plus à celui de Chicago voire même celui de Kensas City ? »
S’inquiétera-t-on pour autant de l’insalubrité esthétique « qui semble y régner » ? On l’espère.