Forteresse de Luxembourg

Itinéraire dans le temps et dans l'espace

«Je me sens responsable des beautés de ce monde»
(Marc Aurèle, empereur romain de 161-180 ap. J.-C.)

L'idée des itinéraires culturels, lancée par le Conseil de l'Europe au milieu des années 80, cherche à emprunter les chemins que l'histoire a tracé, à faire revivre des édifices tombés dans l'oubli, à redécouvrir des anciennes cultures enterrées dans le passé. Dans l'espace, ces circuits franchissent souvent les frontières ; dans le temps, ils traversent les couches de différentes civilisations superposées.

Dans les deux cas, les itinéraires sont les vecteurs de valeurs humanistes et les composantes d'expériences qui se sont accumulées au cours des générations. En ces lieux, les Européens se rencontrent et se reconnaissent mutuellement. Bref, ces parcours, grâce à leur approche multiculturelle et pluridisciplinaire, sont de véritables outils de coopération. dans la mesure où ils font naître une certaine idée de l'Europe.

Mille ans d'histoire, débutant par la fortification du Bock ont donné naissance à un forum, c'est-à-dire à un lieu de rencontre entre les citoyens habitant la capitale et ceux qui nous rendent visite pour s'adonner à des loisirs intellectuels.

La leçon d'histoire, donnée tout au long de ce parcours, éveillera l'intérêt porté par les visiteurs sur la stratigraphie historique de la Ville de Luxembourg. De tout temps, les Luxembourgeois ont dû subir la présence de puissances étrangères. Néanmoins, ils ont fermement continué à former une entité culturelle et leur volonté de survivre est née précisément de la peur de ne plus former cette entité un jour. Avec le temps, ils se sont habitués à la cohabitation et à tirer profit des effets bénéfiques laissés par les grandes civilisations.

De nombreux monuments, édifiés lors de présences étrangères successives, marquent, aujourd'hui encore, d'une manière particulière la physionomie de la capitale. Malgré l'influence des différentes cultures étrangères, les Luxembourgeois n'ont jamais renoncé à leur identité nationale. Du point de vue social et humain, la tolérance innée vis-à-vis des étrangers est devenue une évidence dans une ville où vivent 50 % d'étrangers et dans un pays où ce pourcentage frise les 30 %.

La mentalité des Luxembourgeois, leur prudence, leur méfiance, mais aussi leur approche pragmatique et rusée ont été influencées par des expériences, qu'on peut souvent qualifier de cosmopolites. Notre façon de penser et de vivre et peut-être même notre approche philosophique sont soumises au facteur espace-temps. En d'autres termes, nous n'échappons pas à notre passé qui nous a marqué profondément. Ainsi, le souvenir de notre passé constitue notre mémoire : potentiel qui nous donne la force de survivre dans une Europe des cultures. Or, il est vrai aussi que chaque culture se nourrit du savoir et des coutumes d'autres civilisations. «Mais il faut que chacun y mette une certaine résistance sinon très vite elle n'aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger». (Lévi Stauss).

S'il en est ainsi et si tout étranger peut vivre en paix parmi nous, il est indiqué de faire part de ce message à ceux qui sont concernés directement, mais qui ne s'en rendent pas toujours compte. Il est par conséquent du devoir des instances décisionnelles de réactiver l'histoire ; n'oublions pas que la valorisation du patrimoine entraîne la valorisation de l'homme. Ainsi, tout au long du parcours, nous cherchons, à l'aide d'un matériel didactique moderne, à faire dialoguer les individus avec le passé.

Par contre, n'oublions pas que ces particularités, qui ont été forgées par et avec le temps et qui sont bien propre à nous, nous appartiennent bel et bien. Il s'agit, donc de les sauvegarder jalousement comme un bien précieux.

Les Luxembourgeois sont devenus ce qu'ils sont parce qu'ils ont été confrontés à d'autres civilisations, c'est précisément cette différence des cultures qui est stimulante. «Enrichissons-nous de nos mutuelles différences» avait dit André Gide. Mais il est vrai aussi que, dans une Europe sans frontières, l'uniformisation risque de s'installer au détriment des cultures nationales, voire régionales. Ce nivellement enlèverait aux minorités leur spontanéité et leur identité. Ne nous trompons pas : l'Europe de demain se doit d'être une Europe multiculturelle. Une euro-culture est à éviter.

On ne construit pas une ville qu'avec des cathédrales et des palais. Un patrimoine ne se constitue pas uniquement de créations élitaires, mais il se nourrit également de formes dictées par le fonctionnalisme. Si donc à Luxembourg, les monuments artistiques, nés sous l'impulsion d'une intention esthétique, font plutôt exception, les monuments culturels, issus de longues expériences et d'obligations militaires, l'emportent largement ; or, il ne faut pas voir dans cet état des choses un patrimoine pauvre.

La vieille ville et les vestiges de la forteresse se présentent aujourd'hui sous forme d'une heureuse symbiose entre la topographie et l'héritage bâti pour constituer un monument collectif, un ensemble créé par des générations d'indigènes et d'étrangers, dans un véritable élan de spontanéité, pour nous laisser des strates dénudées de toute breloque décorative.

Dans notre capitale,

  • la qualité se retrouve plutôt dans l'ensemble que dans le détail,
  • la valeur est contenue dans l'enlacement du paysage et des volumes bâtis,
  • la dignité réside dans ce phénomène qu'on peut qualifier de monument collectif.

L'atout majeur de ce paysage culturel réside précisément dans l'heureuse association de la fonction et du «génie du milieu» dans leur interdépendance, voire dans la complicité des structures spatiales et humaines. Dans cet équilibre harmonieux surgit une composante sensuelle qui est une qualité de vie par excellence : la beauté.

Du «Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable» de Boileau, il n'est qu'un pas jusqu'à un aphorisme de Périclès : «Aimons la beauté dans sa simplicité».

Georges CALTEUX
Directeur honoraire du Service des sites et monuments nationaux

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